Diplomatie économique

Ibrahim Gueye
Photo: Christoph Goettert
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Prêt pour contribuer au développement économique et social du Sénégal en activant les ressources humaines
et financières de la diaspora et des Sénégalais de l’extérieur.

Ma proposition pour un développement durable contre l’émigration clandestine au Sénégal

D’après les statistiques dont tout le monde parle et qui malheureusement ne sont disponibles nulle part de manière officielle, deux à trois millions de Sénégalais vivraient hors de nos frontières. Qu’on se le dise ; une bonne partie de la diaspora est devenue inaccessible tout simplement parce que leurs parents et grands-parents se sont sédentarisés à l’étranger en coupant tous les ponts qui les reliaient à leur famille. Il ne leur reste plus qu’un nom de famille qui rappelle une origine sénégalaise. Mais en revanche, les Sénégalais de l’extérieur, sont presque tous très attachés à leur pays où ils investissent et soutiennent aussi souvent que possible leur famille financièrement.

Cette contribution s’adresse en particulier aux Sénégalais de l’extérieur qui contribuent au développement économique et social de leur pays de manière individuelle mais malheureusement désorganisée. Et si les autorités sénégalaises étaient en mesure de leur faire une offre en les identifiant par métier, âge, compétence, et leur ambition de contribuer au développement économique et social du Sénégal ?

Commençons par ce qu’il faudrait faire au Sénégal.

Bâtir une classe moyenne la plus large possible en favorisant les PME, en les rendant plus visibles, en les transformant en sociétés anonymes, en les contrôlant grâce aux conseillers fiscaux et experts-comptables et enfin en les dotant de capitaux issus de la diaspora sénégalaise et des Sénégalais de l’extérieur.

J’ai travaillé pendant quatre ans au Moyen-Orient et j’ai eu l’occasion d’observer la contribution de la diaspora israélienne au développement de leur pays. Ce pays est devenu l’une des places financières les plus importantes de tout le Moyen-Orient bien qu’étant le pays le moins peuplé de toute cette région. Israël fait aussi partie des pays du monde où la recherche et le développement avancent le plus rapidement et tout ceci n’aurait jamais été possible sans sa diaspora. La seule chose qui importe est le respect et la confiance que le gouvernement doit à sa population. Plus près de chez nous, le Maroc commence à comprendre ce que sa diaspora peut rapporter à son développement. Je suis souvent invité par l’association des ingénieurs et médecins marocains en Allemagne. Au moins un membre gouvernement participe à tous les évènements qu’ils organisent et le ministre du tourisme y organise toujours une tombola qui contribue à la promotion du pays en offrant des billets d’avion couplés d’un séjour dans les plus grands palaces marocains. Le Sénégal pourrait au moins faire aussi bien et sans doute même mieux. Prenons simplement les acquis des rencontres sportives qui ces dernières années ont beaucoup contribué à l’aura du Sénégal dans le monde. Aucun gouvernement n’a pensé à capitaliser ces évènements en organisant des conférences économiques ou au moins un Salon du tourisme dans les pays où se déroulent ses rencontres sportives. Le Sénégal va organiser en 2026 les premiers Jeux Olympiques de la jeunesse en terre africaine. Chapeau bas aux lobbyistes qui ont réussi ce coup de génie ! Il ne reste plus qu’au gouvernement actuel pour en assurer la promotion en organisant des forums dans tous les pays où les sportifs sénégalais seront présents jusqu’en 2026 en espérant bien entendu que les « Lions de la Teranga » se qualifieront à la prochaine Coupe d’Afrique des Nations de football qui se déroulera en 2025 au Maroc.

Revenons-en aux PME ! Il serait temps que le gouvernement renforce leurs capacités afin qu’elles attirent les capitaux dont disposent la diaspora et les Sénégalais de l’extérieur et toutes les personnes qui leur sont proche.

La diaspora envoie environ 1 700 milliards de Francs CFA par année au Sénégal.


Un financement des PME de 340 milliards de Francs CFA par année sans intérêt

Le projet est le suivant : puisque les banques installées au Sénégal ne prêtent pas aux PME en mal de fonds propres et de garanties, la diaspora pourrait subvenir à leurs besoins financiers uniquement grâce aux sommes qu’elle envoie au Sénégal. Si seulement 20 % des 1 700 milliards de Francs CFA pouvaient être investis dans les PME, transformées en sociétés anonymes, elles disposeraient de la coquette somme de 340 milliards de Franc CFA chaque année. Quand dites-vous ? Ce système gagnant-gagnant est mille fois plus viable pour les PME et offrirait à la diaspora des retombées beaucoup plus viables que leur retraite complémentaire ou assurance-vie souscrites dans les pays dits riches.

Formation professionnelle accélérée pour les ouvriers autodidactes

Réparation d’appareils électroménagers par des ouvriers autodidactes à Dakar

Au Sénégal, on tombe sous le charme des ouvriers autodidactes qui réparent des appareils électroniques, des voitures et toutes sortes engins en se basant uniquement sur une expérience visuelle. Il m’est arrivé de faire réparer une machine à café dont l’une des résistances avait été victime d’un court-circuit. Cette réparation m’a coûté tenez-vous bien 5 000,00 Francs CFA en main d’œuvre payée à l’ouvrier autodidacte et 20 euros, environ 13 000,00 Francs CFA, pour une pièce détachée achetée en Allemagne. Actuellement, ma machine à café a encore de beaux jours devant elle. En Allemagne, la réparation aurait sans doute coûté au moins aussi cher que le prix d’une nouvelle machine. Indépendamment du prix très abordable de la réparation, il faut aussi prendre en compte la protection de l’environnement et la durabilité des appareils électroniques qui se retrouveraient dans la nature faute de réparation ou de repreneur.

Formation en design industriel pour les artisans

Ce qui est valable pour les ouvriers autodidactes l’est aussi pour les artisans qui ont un problème supplémentaire car ils doivent créer. Cette habilité à créer, ne peut s’acquérir que dans une école de formation où l’on apprend aussi les normes industrielles internationales. A défaut de ce savoir-faire, nos artisans sont passés maître dans l’art de copier des œuvres fabriquées des pays industrialisés. Vivant en Allemagne, j’ai d’abord observé le design de BMW. Quand ils ont compris qu’une voiture se vendait d’abord par son design, ils sont allés chercher des professionnels à l’école de design de Milan qui forme les meilleurs designers italiens depuis le début des années 1950. Ceci se voit dans le design des véhicules Fiat, Ferrari, Alfa Romeo et autres. Même le designer britannique Harry Beck qui a conçu le plan du métro de Londres avec toute sa complexité a étudié dans les années 1930 en Italie (voir carte du réseau du métro de Londres plus bas). L’Allemand Mercedes-Benz n’a d’ailleurs pas hésité à embaucher le designer Johann Tomforde comme premier patron de leur petit véhicule Smart dont la première usine se trouve à Hambach en Moselle au lieu d’un manager classique comme il le faisait avant. Et c’est grâce à la Smart que la ville d’Hambach est plus connue sous le nom de Smartville alors qu’avant l’installation de l’usine, cette ville avait le taux de chômage le plus élevé de France. La marque Mercedes est aussi historiquement liée à différents designers et conseillers en marketing car c’est un conseiller français de Nice qui lui a conseillé d’appeler ses véhicules « Mercedes », un prénom féminin en Espagne, qui faisait mieux vendre que la marque d’origine « Daimler Benz ». J’ai aussi suivi de près la formation par alternance (1) qui est de loin le produit dont l’industrie allemande est le plus fier et qui s’exporte encore mieux que les produits des fleurons de l’industrie allemande comme les Mercedes, Siemens, BMW, Audi, Porsche et autres. Depuis plus de 20 ans, tous les pays européens l’ont importé. Même aux États-Unis, si vous allez Atlanta en Géorgie, l’Allemand Siemens y emploie plus de salariés formés par alternance que l’Américain Microsoft. Le Sénégal devrait s’inspirer de tous ces exemples et envoyer ses artisans autodidactes, pétris de talents, dans les écoles de design afin qu’ils puissent y approfondir leurs connaissances et contribuer à l’effort d’industrialisation de notre pays qui aboutira forcément vers plus d’exportation et la réduction du déficit chronique de notre balance commerciale.

Carte du réseau du métro de Londres dessinée par le designer Harry Beck en 1933. Depuis lors,
toutes les cartes de réseau de métro du monde sont dessinées de la même manière.

Industrialisation et PME

Dans tous les pays qui se sont industrialisés, les PME représentent de 80 à 95 pourcent du produit intérieur brut (PIB). En Allemagne, plus de 80 % des entreprises sont familiales. Taiwan tient sans doute le haut du pavé avec des PME participent à hauteur de 96 pourcent dans le PIB. En Allemagne où je vis, ce ne sont pas les grandes entreprises industrielles représentées dans le monde entier du genre Siemens et autres qui produisent la plus grande part du PIB mais les PME.

Créer un écosystème sénégalais des PME

Compte tenu des chiffres mentionnés dans le paragraphe qui précède, le Sénégal devrait s’enquérir des informations qui pourraient l’aider à rejoindre cette cour des grands. Pour cela, il faut créer un écosystème composé des institutions suivantes :

1. Fédération des PME

2. Ministère de l’économie et des finances

3. Ministère de la formation professionnelle

4. Députés de la diaspora

5. Députés membres de la commission des affaires étrangère

6. Bourse des valeurs

7. Agence de protection des épargnes et de surveillance des flux financiers en Bourse

8. Chambre des métiers

Ce groupe devrait mandater des entreprises privées qui sont capables de former les dirigeants des PME dans le but de renforcer leurs capacités afin qu’elles puissent inspirer confiance et attirer le financement de la diaspora à leur profit.

Modèle d’écosystème pour une formation par alternance

En économie, la psychologie joue un rôle très important. Ceci est la raison pour laquelle, les PME sénégalaises ont le devoir d’inspirer confiance et ceci sur des bases claires. Les PME qui veulent profiter des capitaux de la diaspora doivent se soumettre à des contraintes d’un contrôle financier régulier. Une fois cette étape acquise, le gouvernement, par la voie du Secrétariat des Sénégalais de l’extérieur, doit organiser des forums économiques à l’étranger, accompagné de dirigeants de PME pour faire la promotion de celles-ci auprès de la diaspora et des Sénégalais de l’extérieur. Ceci est un exercice relativement facile et qui se fait dans tous les pays du monde qui ont compris que leur diaspora est patriotique et n’attend que la considération de leur gouvernement pour contribuer au développement économique et social de leur pays. Et très souvent, la diaspora est très fière de montrer ce qu’elle fait pour son pays. Pour le savoir, il faut visiter les salons ou bureaux d’actionnaires de sociétés. Vous y verrez souvent des copies des actions qu’ils accrochent fièrement aux murs.

Mesurer les risques

Acheter des actions comporte toujours des risques. Raison pour laquelle, les PME doivent reposer sur des bases financières solides ; ce qui vaut aussi pour l’économie de leur pays. Le Sénégal doit combattre la corruption et la concussion et se hisser à un rang beaucoup plus élevé sur la liste de la transparence des finances publiques régulièrement publiée par les institutions internationales. Malheureusement, le Sénégal figure actuellement au bas du tableau sur cette liste et n’inspire aucune confiance. Remonter cette pente, demandera beaucoup d’efforts de la part du gouvernement sénégalais nouvellement constitué et du secteur privé. Le défi réside dans l’ouverture et la transparence : un exercice sûrement pas simple mais ce challenge relève d’une simple question de volonté. La diaspora jugera le gouvernement pas les actes que celui-ci posera.

Ma proposition

J’axe ma contribution sur trois fronts :

1. Faire la promotion du Sénégal auprès des entreprises européennes, japonaises et coréennes du Sud que je connais bien afin qu’elles basent leurs activités au Sénégal pour le marché africain de l’Ouest dans un premier temps et plus tard, produire au Sénégal pour exporter. Voir la carte ci-dessous.


2. Aider le gouvernement sénégalais à mieux préparer ses négociations avec les gouvernements européens concernant la coopération au développement.

3. Rassembler la diaspora et les Sénégalais vivant en Europe en passant par les associations, les Dahira, les chambres de commerce et d’industrie et les universités afin qu’ils s’intéressent beaucoup plus au secteur privé sénégalais. Et ce texte peut être considéré comme la préface de ce projet.

Le défi de la décentralisation

Il faut observer la carte ci-dessous pour comprendre les raisons pour lesquelles le Sénégal ne peut pas se développer. Comment peut-on concentrer plus de 75 pourcent de l’économie sénégalaise sur Dakar qui représente 0,3 pourcent du territoire. Et il est d’ailleurs intéressant d’analyser les programmes des candidats à l’élection présidentielle du 24 mars 2024. Tous les programmes publiés déploraient cette concentration de l’économie sénégalaise dans la région de Dakar et projetaient de la décentraliser.

L’économie sénégalaise est une hydrocéphalie. C’est à dire une tête qui est trop grande part rapport au reste du corps. Et l’hydrocéphalie est une source de déséquilibre qui freine le développement de l’individu concerné. La tête hydrocéphale du Sénégal que vous voyez sur cette carte dans la région de Dakar nécessite une opération qui consistera à drainer la concentration économique de Dakar vers les autres régions du pays.

Les parties grises sont des déserts humains par rapport à l’hydrocéphalie de la région de Dakar

Le défi de l’évolution démographique

Si le gouvernement installé au Sénégal depuis le mois d’avril 2024 fait deux mandats, la population du Sénégal passera de 18 millions à au moins 25 millions d’habitants selon les statistiques officielles de l’ANSD (Agence Nationale de la Statistique et de la Démographie) à l’horizon de 2034. Ceci est dû au taux de croissance démographique évalué à environ 2,9 pourcent par année. Un taux pareil, produit un doublement de la population en moins de 25 ans. Voir le tableau ci-dessous. Reste à savoir ce que va représenter la population des Sénégalais de l’extérieur. Mais quoiqu’il en soit, la population des Sénégalais de l’extérieur avoisinera près de 4 millions d’individus. Ceci est dû à la croissance naturelle des ménages et à l’augmentation de l’émigration qui est par essence une population jeune et dynamique. Imaginez la contribution financière de 4 millions de Sénégalais dans le secteur privé si le gouvernement arrivait à canaliser cette manne financière ?

Création d’une Bourse des valeurs

Ancré dans la sphère de l’UEMOA, le Sénégal dépend de la Bourse des valeurs des pays membres dont le siège se trouve à Abidjan. Ceci ne devrait pas empêcher le gouvernement sénégalais de créer un second marché boursier sur son territoire à l’exemple de tous les pays qui tiennent au contrôle des fleurons de leur économie. Quand je travaillais au Moyen-Orient à fin des années 1970, le Liban était embourbé dans une guerre sans fin. Mais ce conflit interreligieux et interethnique n’a jamais empêché la Bourse de Beyrouth de fonctionner tous les jours. Ce qui étonnait tous les étrangers qui y séjournaient et observaient dans toute la ville des zones interdites et de non-droit sauf le quartier de la Bourse où le marché des échanges avec le reste du monde ne souffrait d’aucune inquiétude. Le Sénégal pourrait prendre cet exemple et apprendre ce que peuvent représenter les valeurs boursières dans un pays. Les Américains ont trouvé une expression pour qualifier cet état de fait « too big to fail ». Ce qui veut dire, qu’on je ne joue pas avec les piliers de son économie.

La création d’un second marché boursier au Sénégal pourrait se faire en partenariat avec un pays industrialisé qui connaît ce système. Aux États-Unis, il y a plusieurs marchés boursiers dont les plus connus sont le S&P 500 qui comme son nom l’indique, regroupe les 500 plus grandes capitalisations boursières du pays. Mais notons que l’indice Dow Jones Industrial Average plus connu sous Dow Jones créé en 1896 ne regroupe que les 30 plus grandes entreprises américaines. Le NASDAQ créé en 1971, devient de plus en plus important parce qu’il regroupe les actions technologiques. En France, il y a le CAC 40 qui regroupe les 40 plus grandes capitalisations boursières du pays mais il existe aussi SBF 120 qui regroupe les membres du CAC 40 et 80 autres entreprises certes moins importantes mais qui ont l’avantage d’offrir une plus grande visibilité sur l’état de l’économie française. En Allemagne, nous avons le DAX qui regroupe des 30 plus grandes capitalisations boursières du pays et le MDAX comme second marché qui regroupe les 60 plus grandes PME allemandes cotées en Bourse.

Les Bourses de pays émergents

Il m’est arrivé de faire des recherches sur les Bourses des pays dits émergents sur trois différents continents au début des années 2000 : Afrique, Amérique du Sud et Asie. J’avais choisi l’Afrique du Sud, l’Argentine et la Corée du Sud parce qu’ils avaient sensiblement environ 40 millions d’habitants chacun. En ce moment, 100 entreprises étaient cotées en Bourse en Argentine, 400 en Afrique du Sud et 1700 en Corée du Sud. Des chiffres qui en disent long sur le développement industriel de ces pays et peuvent servir d’exemple au Sénégal qui dans 25 ans devrait aussi avoir près de 40 millions d’habitants.

  1. La formation par alternance fait l’objet d’un article particulier